Stéphane Linder : CEO de TAG Heuer

Quand avez-vous appris que LVMH allait vous confier les commandes de TAG Heuer ?
Début mai. Les discussions avaient été initiées fin janvier et tout s’est accéléré après Baselworld. A l’issue du processus de sélection, le choix a été validé par Bernard Arnault.

 

Quelles seront vos priorités ces trois prochaines années ?
Communication, produit, distribution. Dans un environnement concurrentiel d’images où toutes les marques se mettent en scène à travers des ambassadeurs, TAG Heuer a besoin d’une nouvelle campagne de publicité pour délivrer un message plus clair et plus précis.  Il nous faut plus d’impact et de différenciation pour exprimer nos valeurs, puis les décliner à tous les éléments du mix de la communication. En ce qui concerne le produit, nous avons beaucoup innové et les gammes se sont bien étendues. Ce que TAG Heuer a accompli sur le segment de la haute horlogerie en si peu de temps reste exceptionnel, comme le prouve la distinction de l’Aiguille d’Or du Grand Prix d’Horlogerie de Genève.  Par contre, il faut établir un pont entre le haut de la pyramide et les collections commerciales, notamment sur le segment de €5’000.- à €8’000.- que je compte renforcer. Or à partir d’un certain niveau de prix il devient plus aisé d’amener du contenu horloger. Cette volonté bénéficiera d’ailleurs du remarquable essor de notre capacité de production de mouvements. Il y a dix ans, notre département industriel employait moins de 200 personnes, il y en aura 1000 fin 2013.  Cette verticalisation manufacturière devra également être mise à profit pour créer un mouvement de montre hors chronographe, sésame pour la Chine. Enfin, la troisième priorité vise la distribution que nous devons améliorer. D’une part en élevant la qualité de la présentation de nos produits chez les 4300 détaillants dont le nombre diminuera sans doute de 10%, d’autre part en améliorant l’expérience client dans nos 180 boutiques TAG Heuer fin 2013, dont le nombre devrait croitre d’environ 20%. Il s’agit d’un métier récent pour notre marque, dans lequel nous devons professionnaliser les équipes, augmenter la productivité des boutiques, mieux démontrer aux clients l’incroyable richesse de TAG Heuer.

 

Que retenez-vous de vos 3 dernières années passées dans votre filiale américaine ?
Les leçons du terrain. Après 17 ans au siège en m’occupant successivement du développement technique, de la stratégie produit, de marketing et du développement des boutiques, mon rôle de Vice-President des Ventes USA & Canada m’a permis de passer de la stratégie à son application. Appréhender des notions et situations de terrain plus concrètes, comprendre l’importance capitale d’une bonne communication entre le siège et les filiales, ou maîtriser les relations avec les petits détaillants ou les grandes chaines de distribution. Nous faisons preuve de plus de pragmatisme face au marché, gérons le business plus à court terme, sommes confrontés à la férocité de la concurrence dans les points de vente.

 

En quoi l’environnement a changé dans le même temps pour l’industrie horlogère en général, et TAG en particulier ?
C’est justement la distribution qui s’est radicalement métamorphosée. D’une part en se contractant car les marques se concentrent de plus en plus sur certains points de vente dans lesquels le mètre linéaire se négocie durement, d’autre part en se tournant vers les boutiques monomarques.  Parallèlement, à l’instar de TAG Heuer aux Etats-Unis, les marques commencent à vendre leurs montres sur leurs sites internet officiels. Enfin, la réduction annoncée des livraisons de mouvements du Swatch Group entraine une course à la verticalisation industrielle, que je considère comme une formidable opportunité d’accentuer nos innovations dans les mouvements de grande série, tout en renforçant le Swiss Made.

 

Que vous a apporté la période précédente consacrée au développement produit ?
L’essentiel ! C’est le cœur du métier car il permet de comprendre le consommateur et de saisir ses attentes. Pouvoir définir quel produit va séduire quel type de clientèle et sur quel marché s’avère-t-il primordial. En travaillant sur ces aspects pendant toutes ces années, j’ai pu accumuler d’énormes connaissances relatives au design des montres, qu’il s’agisse des nôtres ou de celles de la concurrence. L’analyse des échecs et succès par zones géographiques confère un avantage stratégique capital dans la mesure où cela nous permet d’éviter des erreurs de lancement qui coûtent très cher. Il faut un an et demi pour développer un modèle, encore six mois pour le livrer partout dans le monde, puis un an avant de cerner l’accueil du public. Mieux vaut ne pas se tromper !

 

De quelles réalisations êtes-vous le plus fier aux deux extrémités de la pyramide ?
Dans le haut du segment je reste très fier de la Monaco V4, car elle a symboliquement marqué le démarrage de l’innovation haute horlogerie chez TAG Heuer. A l’époque il a fallu tout créer car nous ne disposions pas des ressources de développement actuelles. Le concept est né en 2002, nous avons présenté le produit en 2004, puis il a fallu quatre ans pour le fiabiliser en montant des équipes de toutes pièces, notamment des talents extérieurs à l’horlogerie tels que Guy Semon, aujourd’hui à la tête de 40 personnes aux R&D. Cet aboutissement nous a mis le pied à l’étrier pour accomplir d’autres exploits en haute horlogerie, avec la consécration du Mikrogirder, la première montre sans balancier et atteignant le 5/1000s. Dans le moyen de gamme, je voyais en 2004 un énorme potentiel dans la Carrera, qui générait alors 3% du chiffre d’affaires. Nous l’avons redessinée avec une approche plus commerciale, qui l’a transformée en best-seller totalisant 40% de notre chiffre d’affaires.

 

Que signifie votre récent engagement dans les courses automobiles électriques ?
Depuis les années 1950 l’engagement de TAG Heuer dans la course automobile en a fait la marque horlogère la plus légitime sur ce terrain, pas uniquement dans le sponsoring mais également dans les produits, conçus dans ce but. Même si cela comporte une part de risque car la Formule E n’en est qu’au démarrage, nous tenons à rester à l’avant-garde. En outre créer une formule 1 écologique est noble, il en va de notre responsabilité d’encourager de telles initiatives.

 

Pensez-vous que le catamaran Oracle que vous sponsorisez remportera l’America’s Cup ?
En sport rien n’est acquis, mais Oracle a gagné les America’s Cup World Series l’an passé, maîtrise dorénavant son AC72  et connait parfaitement le plan d’eau de San Francisco. TAG Heuer sponsorise également l’équipage suisse Team Tilt qui s’est qualifié pour la Youth America’s Cup et fait partie des favoris. La rentrée sportive sera intense.


Rédacteur en chef des magazines GMT et Skippers dont il est le cofondateur depuis 2000 et 2001, Brice Lechevalier est aussi à la tête de WorldTempus depuis son intégration dans la société GMT Publishing, qu’il dirige en tant que co-actionnaire. Il a par ailleurs créé le Geneva Watch Tour en 2012 et conseille le Grand Prix d’Horlogerie de Genève depuis 2011. Côté nautisme, il édite aussi le magazine de la Société Nautique de Genève depuis 2003, tout en étant membre fondateur des SUI Sailing Awards (les prix officiels de la voile suisse) depuis 2009 et du Concours d’Elégance de bateaux à moteur du Cannes Yachting Festival depuis 2015.

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